Libertariens : des proprietariens Étatistes et capitalistes.
Rédigé par denge - -
L’association de termes contraires, tels "anarcho" avec "capitaliste" en
un oxymore, est un art de la confusion que les étato-capitalistes
aiment pratiquer afin de faire prendre des vessies pour des lanternes et
vendre ainsi leurs vieilles camelotes sous un nouvel emballage doré.
Cela s’est déjà vu avec les capitalo-étatistes bolcheviques qui se
prétendaient communistes tout en instaurant un capitalisme d’État, aidés
en cela idéologiquement et en pratique par les diverses bourgeoisies,
afin d’écraser l’auto-émancipation en acte du mouvement ouvrier.
Pour clarifier le propos on n’utilisera pas l’oxymore des
étato-capitalistes, ce qui serait donner de la valeur à la novlangue de
ces marchands de misère. On pourrait les nommer "capitalistes d’État
privé" ou "ultralibéraux", mais pour simplifier on les nommera
"propriétariens", cela pour reprendre la désignation qu’utilisent avec
justesse les anarchistes états-uniens pour qualifier cette nouvelle
escroquerie Etato-capitaliste.
Hormis la volonté expansionniste et vorace inhérente à
l’étato-capitalisme (comme à son opposé : le capitalo-étatisme) dans
toutes ses dimensions, les raisons pour laquelle des étato-capitalistes
propriétariens usurpent des termes venant des anarchistes sont diverses.
Historiquement, il s’agit d’une des conséquences de la guerre froide, de
la politique anticommuniste états-unienne (avec sa chasse aux sorcières
organisée par les maccartystes), ce qui a amené les "socialistes"
états-uniens à se dénommer "libéraux" (en référence au libéralisme
politique ou aux démocrates libéraux), et par effet et en parallèle, les
"libéraux" (en référence au libéralisme économique ou des
ultralibéraux) ont dû trouver une autre désignation à leurs mouvements
pour ne pas être confondus avec les "socialistes".
Idéologiquement, en partant de l’économie autrichienne et d’une
définition très particulière et erronée de l’anti-étatisme, des libéraux
[1] en sont arrivés petit à petit à s’autodésigner comme "anarchistes"
(en interprétant largement les idées "anarchistes individualistes" dont
ils se seraient inspirées) et cela malgré une contradiction évidente :
défendre le capitalisme, implique un étatisme minimal ou maximal, une
hiérarchie sociale, une société divisée en classes ainsi que le
salariat, toutes conceptions totalement étrangères à l’anarchisme. Comme
nous le verrons, leur anti-étatisme est étroit et faux, ce sont en fait
des étatistes (des étato-capitalistes !) qui s’ignorent sciemment.
Comme bon nombre de théories totalitaires et manichéennes, ils divisent
le monde en deux camps, le capitalisme et l’étatisme. Ils considèrent
qu’il faut choisir son "camp", qu’on ne peut pas lutter contre le
capitalisme et l’étatisme en même temps. Il s’agit là d’un discours
hypocrite, en miroir de celui des sociaux-démocrates bolcheviques
(puisque ces derniers ne refusaient pas le capitalisme d’État ; tout
comme les propriétariens ne refusent pas l’étatisme privé, les uns et
les autres partageant donc la même contradiction totalitaire avec des
points de départ opposés). Dans les faits, le capitalisme et l’étatisme
sont indissociables, l’un existe par l’autre et réciproquement. Tout le
reste n’est qu’une question d’équilibre politico-idéologique : la
lut-te se situe alors entre les étato-capitalistes (pour lesquels
l’économie dirige le politique) et les capitalo-étatistes (qui veulent, à
l’inverse, que le politique dirige l’économique). Pour masquer leur
escroquerie qui résulte de l’incohérence entre la fin et les moyens, les
propriétariens utilisent des mots trompeurs, comme le firent en leur
temps les bolcheviques. Ce sont des manœuvres idéologiques dont l’idée
est de créer l’illusion du nouveau ou du renouveau.
En pratique, les propriétariens déclarent qu’ils peuvent agir dans leur
propriété privée (leur "patrie") comme si c’était un État [2] et
inversement. Pour eux, le propriétaire, seul maître, a un droit absolu
sur sa propriété et sur ses sujets (locataires, salariés, esclaves,
citoyens). Il peut défendre sa propriété selon ses propres critères de
"justice" et ses intérêts. Pour une organisation plus vaste, les
propriétariens proposent des agences de protection, avec police privée,
cours de justice privées, armées privées, et cela selon des codes de
lois généraux propriétariens [3]. La liberté pour eux c’est la propriété
et le fait de pouvoir choisir son maître, son esclave, son gouvernant,
sa nation, sa police, sa justice...
Vis-à-vis de l’État actuel, une grande partie des propriétariens a
choisi de passer par l’intermédiaire de divers partis ("Libertarian
party", "UKIP", ... en France ils firent un essai électoral avec
"Alternative Libérale" - AL) qui participent aux élections
représentatives afin de justifier ce système. Aux États-Unis, un de
leurs représentants, Ron Paul, variant entre "Libertarian party" et
"Republican party", s’est illustré à de nombreuses reprises pour ses
accointances (financements ou conférences) avec des groupes d’extrême
droite (JBS John Birch Society, les sudistes de la Ligue du Sud, des
suprémacistes blancs, les intégristes de Fatima...), pour des propos
racistes récurrents, notamment ces lettres des années 90 sur les Noirs
(qui à Washington DC, selon lui, seraient essentiellement des criminels
ou des semi-criminels), mais aussi par des prises de position contre
l’abolition des lois ségrégationnistes des Etats du sud. D’autres
auteurs propriétariens ont défendu des positions autrement autoritaires,
tel que Hans Hermann Hoppe [4] déclarant clairement son homophobie,
prônant la censure voire l’élimination physique de ses opposants,
défendant la monarchie, pour ne pas dire la "dictature privée", qui
selon lui est bien plus efficace qu’une démocratie, car seul le monarque
saura défendre ses frontières nationales comme si c’était sa propriété
privée. Il faut ajouter que d’autres positions dans le cadre du marché
"libre", autres que le salariat, sont avancées par des propriétariens
[5], telles que valoriser la prostitution (dans la vision globale d’une
société de marchandisation), ven-dre/acheter des organes, vendre/acheter
des enfants, mettre des enfants au travail salarié ou en esclavage...
pour eux la morale se situe dans la propriété privée ou dans la
hiérarchie et non dans les rapports sociaux égalitaires.
On peut donc comprendre la raison pour laquelle les références
idéologiques et économiques des propriétariens sont Hayek, Friedman,
Ludwig Von Mises,… auteurs ayant défendu ou travaillé pour des
dictatures [6]...
Cette théorie totalitaire consistant à défendre le capitalisme à tout
prix amène ses défenseurs à utiliser logiquement les moyens étatiques
actuels qu’ils prétendent rejeter. Dans d’autres cas, ils défendent
l’application des fonctions de l’État régalien au sein de leur propriété
privée (individuellement ou par l’intermédiaire d’agences privées).
Changer le mot "Etat" par "agence" ne change rien au fond des pratiques
étatistes des propriétariens quels qu’ils soient. Tout comme
l’utilisation qu’ils font des termes "anarcho" au détriment de leur
propre crédibilité ne change en rien l’escroquerie de leurs théories.
Patrick Merin
[1] Malgré leur rejet initial de ce terme (jugé trop « socialiste »),
notamment par Rothbard qui préférait le néologisme « nonarchiste »
(c’est-à-dire "ni anarchiste, ni archiste") tout en se prononçant pour
une hiérarchie volontaire.
[2] « En outre, la politique d’immigration antidiscriminatoire des
États-Unis et d’autres pays occidentaux au cours des dernières décennies
a fait en sorte que des gens qui sont étrangers ou même hostiles aux
valeurs occidentales ont pu facilement s’établir dans ces pays et les
infiltrer. » « Que doit-on espérer et prôner comme politique
d’immigration correcte (...) ? La meilleure que l’on puisse espérer
(...) : c’est que les dirigeants démocratiques se conduisent "comme si"
ils étaient personnellement propriétaires du pays, comme s’ils avaient à
décider qui admettre et qui exclure dans leur propre propriété privée.
Cela signifie pratiquer une politique de discrimination extrême »
Democracy : The God That Failed, 2001, Hans Hermann Hoppe.
[3] cf. Rothbard, "Ethique de la liberté" sur l’universalité des droits naturels propriétariens.
[4] « Il ne peut y avoir de tolérance vis-à-vis des démocrates et des
communistes dans un ordre social libertarien. Ils devront être séparés
et expulsés physiquement de la société. De même, dans un engagement
fondé dans l’optique de protéger la famille et les proches, il ne peut y
avoir de tolérance vis-à-vis de ceux qui défendent habituellement des
modes de vie incompatibles avec cet objectif. Ceux-là — les défenseurs
de styles de vie différents, non-centrés sur la famille et les proches,
tels que l’hédonisme individuel, le parasitisme, la vénération de la
nature et de l’environnement, l’homosexualité ou le communisme —devront
être éliminés physiquement de la société également, si l’on souhaite
maintenir un ordre libertarien. » Democracy : The God That Failed, 2001,
Hans Hermann Hoppe.
[5] Walter Block dans "Libertarianism vs Objectivism ; A Response to Peter Schwartz"
[6] « On ne peut nier que le fascisme et les mouvements similaires
cherchant à mettre en place des dictatures sont remplis des meilleures
intentions et que leur intervention a, pour l’instant, sauvé la
civilisation européenne. Le mérite qui en revient au fascisme demeurera
éternellement dans l’histoire. » Ludwig Von Mises "libéralisme" (1927) ;
Friedrich Von Hayek - au sujet du Chili de Pinochet, dans le journal
"El Mercurio" dit préférer une « dictature libérale à une absence de
libéralisme dans un gouvernement démocratique ». ] telles que le Chili
de Pinochet, l’Autriche de Dollfuss, le Portugal de Salazar, l’Italie
fasciste de Mussolini. D’autres « expériences » plus récentes comme
Taïwan, Hong Kong, Singapour sont souvent citées comme
références : Hans-Hermann Hoppe : « Nous devons promouvoir la conception
d’un monde composé de dizaines de milliers de districts, régions et
cantons distincts, et de centaines de milliers de cités libres
indépendantes telles que les curiosités contemporaines que sont Monaco,
Andorre, Saint-Marin, le Liechtenstein, Hong Kong et Singapour. » « Le
monde serait alors composé de petits États économiquement intégrés grâce
au libre-échange et au partage d’une monnaie-marchandise comme l’or. ».